Demain, tous Data Scientists ?

A l’heure où les données numériques se sont imposées comme l’or noir du XXIème siècle, on peut se demander, en reprenant le proverbe, s’il ne serait finalement pas presque plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille que pour une entreprise de recruter un Data Scientist. Élu « métier le plus sexy de notre siècle » par la Harvard Business Review dès 2012, la demande en Data Scientist ne faiblit pas. Et pour cause : sa capacité à créer de la connaissance à partir des énormes gisements de données, est encore aujourd’hui indispensable à la transformation numérique des entreprises.

Christian Duprat est directeur général de Tibco Software. (crédit : D.R.)

C’est la clé de l’engouement pour ces alchimistes de la donnée, capables d’en assurer l’exploitation, la valorisation, voire même parfois la monétisation. Le principe n’est pourtant pas récent : depuis les tablettes sumériennes, l’on sait que la maîtrise de l’information est une source de pouvoir. Seulement, à l’heure de l’économie numérique, l’échelle de l’analyse des données a aujourd’hui explosé, tant par une puissance de calcul informatique sans précédent que par la quantité et la variété des informations métier disponibles. Combinant savoir-faire technologique et expertise métier, la profession de Data Scientists requiert donc des qualifications que très peu de jeunes diplômés peuvent afficher, confrontant les entreprises à une pénurie de candidats… Souvent synonyme de salaire élevés pour ces derniers !

Dès lors, force est de constater que toutes les entreprises ne pourront pas embaucher les profils tant prisés. Pour y remédier, certaines explorent une autre voie : fournir aux équipes existantes des solutions analytiques simplifiées. Une façon rapide de former certains collaborateurs et de faire évoluer leurs missions vers de l’analyse et de la valorisation de données. C’est en tout cas le concept développé en 2015 par Gartner : le « Citizen Data Scientist ». Comment son émergence peut-elle se traduire dans les organisations ?

L’avènement des « porteurs d’histoire » de la donnée numérique en entreprise

Confrontées à un réel enjeu de compétitivité, les entreprises sont désormais en attente de personnes capables de raconter une histoire à partir de ces données, c’est-à-dire de traduire ces chiffres en une langue intelligible pour tous. Ces porteurs d’histoire, ce sont évidemment les Data Scientists, qui en théorie, se doivent d’allier des compétences de mathématiciens, d’informaticiens et de statisticiens, dont ils sont les dignes héritiers. Mais au-delà des expertises techniques, ce sont finalement les « soft-skills » qui vont faire la différence : le Data Scientist doit avant tout faire preuve de curiosité, être capable de reconnaître les informations potentiellement utiles dans une grande masse de données, et mettre en lumière puis traduire tout leur intérêt pour les autres collaborateurs ou départements de l’entreprise.

Au premier abord, accoler au poste de Data Scientist le terme de ‘Citizen’, citoyen en français, peut paraitre déroutant. Il renvoie ici à une personne sans formation scientifique spécifique par opposition à la fonction de Data Scientist technique et pointue. Un oxymore qui, selon Gartner, « construit des modèles utilisant des techniques analytiques avancées ou des fonctionnalités prédictives, mais dont la fonction initiale se situe en dehors du domaine des statistiques et de l’analytique ». Une aide précieuse donc pour combler les besoins des organisations et répondre à leurs impératifs de compétitivité.

Le cercle vertueux de la démocratisation des données

Un concept loin d’être irréaliste. Toujours selon Gartner, 40% des tâches de Data Science seront automatisées à l’horizon 2030. En rendant ces technologies accessibles à des nouveau profils de métiers, les entreprises vont favoriser l’essor et l’avènement du Citizen Data Scientist, qui s’appuiera en pratique sur des outils analytiques simplifiés.

La première fonction du Citizen Data Scientist n’étant pas l’analytique, il vient compléter le champ de compétences du Data Scientist pour répondre au plus près des besoins des entreprises. Alors que le Data Scientist, véritable mouton à cinq pattes, représente aujourd’hui une compétence rare et chère que toutes les organisations n’ont pas les moyens de s’offrir, le Citizen Data Scientist répond également à la demande des petites entreprises qui, sans en avoir les mêmes budgets, ont parfois les mêmes besoins analytiques que les grands groupes !

La naissance de cette nouvelle génération de Data Scientists préside à l’émergence d’un véritable cercle vertueux : la requalification de développeurs, analystes, ingénieurs et d’utilisateurs métiers, passera par l’adoption de programmes de formation et de recrutement qui aboutiront progressivement à la démocratisation des données dans l’entreprise.

Le Citizen Data Scientist, le nouvel ambassadeur de la culture de la data

Cependant, il serait faux de faire une distinction entre les experts qui utilisent ces technologies d’une part et les équipes métiers, d’autre part. Le Citizen Data Scientist fait le pont entre l’analyse des données traditionnelle et les techniques avancées de Data Scientists, capitalisant sur toutes les compétences des professionnels de l’entreprise.

Au-delà de l’exploration de données, les nouveaux outils qu’il utilise offrent en effet la possibilité d’effectuer de manière semi-automatique des analyses complémentaires comme l’identification de variables significatives et de tendances, l’agrégation de données communes, l’enrichissement de données internes par leur croisement avec des données exogènes permettant de mieux contextualiser l’activité de l’entreprise dans son environnement (économique, concurrentiel, sociétal, etc.), la conduite d’analyses prédictives et prescriptives (simulation et évaluation de plusieurs scénarios envisagés afin de prendre la meilleure décision possible). Il les applique ensuite aux problématiques opérationnelles, diffusant une culture de la data en entreprise et contribuant à l’amélioration du niveau de productivité de l’ensemble de l’organisation.

En réconciliant les différentes parties prenantes et en contribuant à la démocratisation des données, le Citizen Data Scientist, apparait comme le porte-drapeau de la culture de la data en entreprise. Néanmoins, les compétences nécessaires pour rechercher de véritable pépites dans les données, même avec des outils sophistiqués, sont très spécifiques et nécessitent un travail de spécialistes. Le Citizen Data Scientist ne vient donc aucunement se substituer au Data Scientist : les deux fonctions sont amenées au contraire à coexister et à développer des synergies au service de la compétitivité de l’entreprise. En contribuant activement à bâtir une dynamique de la donnée au sein des organisations, le Citizen Data Scientist et le Data Scientist apparaissent plus que jamais comme les nouveaux messies de la 4ème révolution industrielle.

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