Dans son dernier essai « À l’assaut du réel », Gérald Bronner analyse la manière dont les nouvelles technologies modifient notre rapport à la réalité, ouvrant la voie à une distorsion inédite entre nos désirs et le monde tel qu’il est.
Avec « À l’assaut du réel », le sociologue Gérald Bronner poursuit son investigation sur la façon dont notre époque recompose les frontières du réel, désormais fragilisées par les nouvelles technologies et l’évolution des mentalités. Jadis, le réel résistait à nos rêves : il « rendait les coups, nous faisait payer nos erreurs, signait l’échec de nos rêveries et de nos délires ». Mais avec l’essor des réseaux sociaux, la prolifération des écrans et la montée des «truismes numériques», l’auteur montre que se dessine un nouvel horizon : celui d’un monde où la réalité peut être modulée selon les désirs des individus.
Le sociologue diagnostique un changement de paradigme, nourri par l’imaginaire collectif et exacerbé par la «post-truth society »: « L’imaginaire collectif semble avoir perdu sa capacité à se projeter, comme si le présent occupait désormais tout l’espace mental disponible ». Les plateformes numériques dynamitent les repères : le flux permanent d’images et d’informations déforme les perceptions et favorise l’émergence de bulles de croyances. La technologie agit alors comme un accélérateur des désirs personnels, offrant la tentation de « plier le réel » à ses propres aspirations. Gérald Bronner alerte sur les dangers de cette «dérégulation du désir » : lorsque chacun façonne son monde au gré de ses fantasmes, la cohésion sociale s’effrite et le socle commun s’amenuise. Dans ce contexte, l’auteur pose la question essentielle : sommes-nous encore capables de préserver une réalité partagée, ou sommes-nous condamnés à voir « le réel lui-même assailli » par la force du virtuel ? « La réalité, c’est ce qui continue d’exister lorsqu’on cesse d’y croire », rappelle-t-il, reprenant la formule de Philip K. Dick, pour souligner l’urgence de renouer avec une confrontation lucide au monde tel qu’il est. L’auteur nous invite à repenser notre rapport au réel, afin que le numérique soit facteur d’enrichissement, non de confusion.