Les futures normes européennes sur l’eau inquiètent les acteurs du cloud

La Commission européenne a récemment publié une série de propositions pour une gestion plus efficace de l’eau. Elles ciblent notamment les datacenters refroidis par eau en voulant leur imposer des normes à partir de 2026. Les acteurs du cloud sont montés au créneau.

A la fin du mois de juin, l’appel de l’UE à réduire de toute urgence la consommation d’eau des centres de données a incité l’association professionnelle Cispe (Cloud Infrastructure Services Providers in Europe) à plaider en faveur d’une autre approche de l’investissement dans l’infrastructure IT. Ces avertissements sont arrivés début juin avec la publication par la Commission européenne d’une série de propositions destinées à améliorer la manière souvent incohérente dont l’eau est gérée, ou mal gérée, dans l’ensemble de l’Union européenne.

Alors que la sécheresse est devenue monnaie courante dans certaines régions d’Europe, la stratégie de l’UE pour la résilience de l’eau a identifié une série de problèmes, principalement le fait que trop d’eau se perd dans des fuites ou est rendue inutilisable par la pollution. Cependant, l’exécutif bruxellois a également désigné les centres de données, qui connaissent actuellement une hypercroissance sous la pression de technologies telles que l’intelligence artificielle, comme problème de consommation particulier. L’institution serait en train d’élaborer des normes minimales pour l’utilisation efficace de l’eau dans les datacenters, qui devraient être publiées d’ici à la fin de l’année 2026.

Le Cispe contre un excès de normalisation

L’eau peut être utilisée par les centres de données de deux manières : soit en circuit fermé, comme moyen d’évacuer la chaleur des composants de calcul vers un échangeur de chaleur où l’eau est refroidie et remise en circulation, soit en circuit ouvert, où on laisse l’eau s’évaporer et évacuer la chaleur en quittant le système. L’industrie n’est pas restée sans rien faire : Microsoft travaille par exemple à la conception de centres de données avec une très faible consommation en eau.

Dans sa réponse au rapport de la Commission européenne, le Cispe avertit que l’incertitude réglementaire qui en résulte pourrait nuire à l’économie de la région. « L’imposition d’une réglementation supplémentaire et autonome sur l’eau pourrait augmenter les coûts, créer une fragmentation réglementaire et décourager les investissements. Cela risque de déplacer les infrastructures en dehors de l’UE, sapant ainsi les objectifs de durabilité et de souveraineté », a déclaré l’organisme regroupant des acteurs IT dans sa dernière recommandation, « Advancing water resilience through digital innovation and responsible stewardship » (Faire progresser la résilience de l’eau grâce à l’innovation numérique et à une gestion responsable). « Une telle incertitude réglementaire pourrait également réduire l’attrait de l’Europe pour les investissements dans des infrastructures neutres sur le plan climatique, alors que d’autres régions offrent des cadres clairs et stables pour la croissance des données vertes », a ajouté l’association professionnelle. « Les recommandations du Cispe sont un mélange d’harmonisation réglementaire, d’augmentation des investissements et d’amélioration technologique. Actuellement, la réglementation sur la réutilisation de l’eau est axée sur l’agriculture. Une réglementation actualisée dans l’ensemble de l’Union européenne encouragerait une utilisation plus efficace de l’eau dans les environnements industriels tels que les centres de données », a encore estimé le Cispe

Des investissements dans l’infrastructure via des partenariats public-privé

Dans le même temps, les pays qui se débattent avec des budgets publics limités n’investissent pas suffisamment dans l’infrastructure de l’eau. Le rapport suggère que la seule façon d’y remédier serait d’encourager de nouveaux investissements, notamment des partenariats public-privé (PPP) formels : « Un tel cadre serait capable de développer des modèles de financement durables qui exploitent l’innovation et les capitaux du secteur privé, tout en garantissant une surveillance et une responsabilité publiques robustes. »

Néanmoins, une meilleure gestion de l’eau nécessiterait également des données en temps réel recueillies par des réseaux de capteurs IoT couplés à des systèmes d’analyse et de prédiction de l’IA. À cette fin, les centres de données du cloud constituaient moins une ponction sur les ressources en eau qu’une partie de la réponse : « Une approche basée sur le cloud permettrait aux services publics de l’eau et aux utilisateurs industriels de centraliser la collecte des données, d’automatiser les processus opérationnels et d’exploiter les algorithmes d’apprentissage automatique pour améliorer la prise de décision », a fait valoir le Cispe.

Un meilleur contrôle de la gestion de l’eau essentiel

Il n’est pas toujours facile d’évaluer la consommation d’eau des centres de données. Beaucoup de choses dépendent du type et de la taille de l’installation, de ses charges de travail et de son emplacement. Ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’elle augmente. En février, un rapport de la Royal Academy of Engineering en Angleterre, a souligné que la politique de promotion du pays en tant que centre d’intelligence artificielle mettrait à rude épreuve l’approvisionnement en eau. « La croissance rapide de la demande pourrait avoir des effets considérables, tels que la concurrence pour les énergies renouvelables ou les sources d’eau potable. Google et Microsoft ont tous deux signalé une augmentation de la consommation d’eau des centres de données d’une année sur l’autre depuis 2020 et une grande partie de ces prélèvements d’eau provient de sources d’eau potable », note l’étude.

Une simple réglementation pourrait ne pas suffire : les gouvernements doivent de toute urgence contrôler la manière dont les centres de données utilisent l’eau. Le secteur des centres de données travaille sur ses propres normes d’efficacité, le Climate Neutral Data Centre Pact de l’industrie s’étant déjà engagé à « atteindre une efficacité dans l’utilisation de l’eau (Water Usage Effectiveness, WUE) de 0,4 litre/kWh pour les prochains centres de données dans les zones de stress hydrique d’ici à 2025 », a indiqué le Cispe.

D’autres difficultés que l’eau

Selon Rodolfo Rosini, cofondateur et CEO de la startup Vaire Computing, pour résoudre le problème de l’eau, il faut s’attaquer à la fois à la demande excessive d’électricité et à la difficulté de construire d’autres infrastructures. « Le problème le plus important dans de nombreux pays en développement et dans l’UE est la construction d’infrastructures et l’obtention de permis de construire. Ce problème tend à être beaucoup plus important que la consommation réelle de ressources », a expliqué M. Rosini. « D’une manière générale, la difficultté en Europe n’est pas tant la pénurie d’eau que le goulet d’étranglement énergétique. Les systèmes IT actuels doivent être refroidis en raison de leur production excessive de chaleur ».

L’IA a permis à tout le monde de s’en rendre compte. Cependant, le fait que des pays comme le Royaume-Uni n’aient pratiquement pas augmenté leur capacité de stockage depuis plus de trente ans reste préoccupant. « L’accès à des capacités de calcul locales devant être l’un des principaux moteurs de la croissance économique au cours des 15 prochaines années, les États devraient rapidement envisager d’élargir l’accès à l’eau et sa disponibilité », a préconisé Rodolfo Rosini.

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