Chronique : « Quelques belles confusions à propos du cloud »

Cloud, données, applications, services, souveraineté… un beau programme. La dernière émission de France 5 intitulée « Relocaliser: le défi Français » diffusée le 29 Septembre a eu le mérite de porter à la vue de nos concitoyens un certain nombre d’idées fausses et de confusions sur le Cloud Computing véhiculées par les médias généralistes. Elle a eu pour mérite de révéler une nouvelle fois les lacunes de l’approche tricolore et même Européenne.

San Francisco sous un ciel orangé… mais la tech résiste.

L’élément qui me fait réagir se situe à la séquence à 1h14mn42s de l’émission où le commentaire dit clairement “OVHcloud leader Français du stockage”. Les personnels de l’entreprise ont dû tilter dans leur fauteuil de même que le reste de la profession car OVHcloud est un acteur important du cloud computing et même un des leaders européens. Mais le cloud computing comme dit son nom implique deux choses fortement liées, le traitement des données que les anglos saxons nomment computing ou processing d’où le nom et les données elles-même qui imposent et impliquent souvent leur stockage.

Une vulgarisation erronée

Ce nouveau cas de vulgarisation erronée illustre et contribue à la grande confusion qui règne dans l’esprit du grand public qui assimile et réduit le cloud au stockage de données. Et encore une fois les médias grand public participent à cette diffusion d’information fausse et incomplète. Et pourtant, la grande majorité des utilisateurs de smartphones comprend que les services utilisés sont bien plus que du stockage.

Je reste surpris que l’on demande à des personnes dont ce n’est pas le métier de parler de cloud. Cela me rappelle le livre d’Etienne Klein “Je ne suis pas médecin, mais JE”* écrit à la suite du cirque médiatique en période de Covid. Je regrette que ces émissions invitent quasiment systématiquement des personnes qui touchent l’économie et la finance et non des personnes de l’art. Elles évoquent toutes l’aspiration des données mais oublient bien souvent cette partie traitement de l’information. Dans l’émission mentionnée plus haut seul François Sterin est pertinent même s’il oublie de mentionner que le Cloud Computing c’est bien plus que le Cloud Storage et il le sait parfaitement.

Mais le vrai enjeu est ailleurs, il se situe au niveau du traitement des données qui va au-delà du stockage. Ce qui explique pourquoi être hébergeur ne suffit plus…

On apprend tous de nos erreurs

Nous avons tous en tête une des erreurs colossales de Steve Jobs avec NeXT Computer qui pensait révolutionner l’informatique avec sa nouvelle machine et une application par domaine. Belle erreur et quelle erreur. La machine avait beau être une belle réussite, cela ne suffisait pas à son adoption car celle-ci passe par les usages que l’on en fait. Il l’a compris à ses dépens et NeXT fut un échec. Il a immédiatement intégré que la valeur de la machine vient de l’écosystème dans lequel elle opère. Il fallait donc multiplier les partenariats, valider le plus de logiciels sur la plateforme, offrir un vaste choix d’usages… Et cette leçon il l’a appliqué à l’App Store où l’on trouve une quantité phénoménale d’applications qui font 2 choses essentielles: inviter l’utilisateur à adopter la plateforme et à “rester” dessus.

Le royaume des APIs

Il y a quelques années, les APIs entre logiciels s’appuyaient sur des contrats payants entre partenaires et devaient justifier de cas clients pour permettre une intégration… Internet a tout changé, l’open source est aussi passé par là, les géants d’Internet ont offert leurs APIs ouvertes au monde et l’explosion des services a submergé la planète. C’est devenu une course où le succès se mesure à la taille des communautés d’utilisateurs. Et les rois de tout ça sont les développeurs, ne nous trompons pas, qui possède l’information? qui possède le savoir? qui possède le code, je parle ici d’algorithmes?… Dans le monde d’aujourd’hui le développeur est roi.

Les 10 travaux d’Hercule
Pourquoi la plateforme des données de santé, le très fam
eux Health Data Hub, est parti chez Microsoft, ce n’est pas pour le stockage de données, nous savons et pouvons le faire, mais c’est bien pour les traitements c’est-à-dire les services associés avec une grande variété d’applications toutes très poussées. Les entreprises utilisatrices ne s’y trompent pas, le cloud a un coût mais l’association applicative fait la différence et justifie ce choix dans bien des cas. OVHcloud pouvait très bien répondre à un pan de la demande mais le versant applicatif est encore trop balbutiant mais illustre parfaitement son prochain grand chantier pour devenir l’égal des géants de ce secteur.

Le dernier exemple en date illustre bien aussi le défi Français, notre défi, avec le choix par Renault de Google Cloud. Certains s’en émeuvent et nous pouvons le comprendre mais encore une fois, ce n’est pas pour des besoins de stockage mais de traitement des données avec l’expertise reconnue des équipes Google en matière d’Intelligence Artificielle que le choix a été fait. Bien sûr qui dit Cloud Computing sous entend le stockage de ces données mais pas l’inverse. Cet exemple doit résonner chez nous.

Encore une fois une donnée sans application est inutile, une application sans donnée l’est tout autant. C’est ce couple qui est primordial. AWS l’a bien compris avec ses propres services applicatifs et bien sûr sa Marketplace, Google a fait pareil sur GCP et Microsoft sur Azure. Si c’était pour stocker à distance les données, beaucoup d’offres sont disponibles mais le maillon clef n’est pas là, il est nécessaire mais non suffisant. Et ces acteurs accentuent encore plus leur pression avec le déploiement des offres en local comme AWS Outposts ou Microsoft Azure Stack.

Le problème Français

Le problème Français réside entre autres dans son enseignement superieur technique, de très haut niveau, reconnu à l’étranger, mais qui forment trop de profils de managers et non des ingénieurs qui réalisent des choses. Dit autrement, la France a longtemps estimé et boudé les métiers de développeur, que l’on appelait analyste-programmeur il y a longtemps, que l’on baptise aujourd’hui de codeur, et il demeure toujours cet aspect négatif de la profession comme si ces métiers étaient moins nobles. L’une des raisons du retard Français dans la création de jeunes pousses est tout simplement lié au fait que la création d’entreprise était enseignée en école de commerce et non en école d’ingénieur. Hors, dans ce domaine, notre salut viendra de la technologie et de la maîtrise du code et sans développeur, pas de produit car aucun développement n’est possible. Je voyais encore un exemple récent d’une personne à profil commercial qui avait une idée et qui cherchait sur LinkedIn son co-fondateur au profil développeur pour réaliser le produit, on croit rêver… Tout le monde veut devenir entrepreneur…

Il faut bien le comprendre, la silicon valley s’est développée par les foules de techniciens indiens, chinois et autres américains qui ont tous des profils techniques. Les exemples sont tellement nombreux hier ou aujourd’hui, seul le terrain de jeu a changé…

Il nous faut donc des acteurs complets en offre cloud computing, c’est essentiel, avec des services applicatifs riches et variés associés à des équipes de développeurs. La résidence des données nous est forcément acquise en Europe et à fortiori chez nous. Au delà de nos écoles prestigieuses, de nos universités et de nos écoles spécialisées, Xavier Niel avec l’école 42 et Holberton School l’ont bien compris en proposant des cursus rapides et dédiés à cette nécessité de créer des développeurs Français, il en va de notre indépendance.

Conclusion

Il y a du boulot et la perspective de la plateforme Franco-Allemande GAIA-X est encourageante et répétons le, l’écosystème Européen est décisif dans ce périple. Car ne nous faisons pas d’illusions cette bataille nous devons la mener à l’échelle européenne.

* Tracts aux éditions Gallimard

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