Crise énergétique : les compteurs s’affolent pour les hébergeurs et opérateurs de datacenter

La flambée des coûts énergétiques, en particulier de l’électricité, heurte de plein fouet les opérateurs de datacenters et les hébergeurs. Entre hausses de prix et désespoir, tous les acteurs sont loin d’avoir les reins assez solides pour supporter une charge qui devient insupportable.

Les conséquences de la course folle des prix de l’énergie – et tout particulièrement de celui de l’électricité – provoquent un vent de panique dans les entreprises. Même si la Commission européenne vient d’annoncer un gel exceptionnel du prix maximum que pourra atteindre le marché de l’électricité à court terme en Europe à 4 000 € par mégawattheure, la tension est à son comble. Par exemple l’industriel Duralex a annoncé début septembre la mise en pause de sa production cet hiver couplée à des mesures de chômage partiel. De leur côté, hébergeurs et opérateurs de datacenters doivent aussi affronter ce mur de hausses et sont loin d’être épargnés. « La question d’arrêter l’activité Datacenter se pose sérieusement », a fait savoir Jérémy Martin, PDG de Techréa Solutions, exploitant de l’hébergeur web nordiste Firstheberg. Compte-tenu de la hausse des prix, son fournisseur d’électricité EDF lui a ainsi signifié que d’après sa prévision de consommation, sa facture passerait ainsi à compter du 1er janvier 2023 de 90 000 €HT à plus de 330 000 €HT.

Pour faire face à cette explosion de la facture énergétique, les entreprises sont confrontées à deux choix : soit jeter l’éponge ou engager la lutte en activant par exemple le levier de la hausse des prix répercutée aux clients finaux. Une voie qu’a choisi de suivre par exemple – de façon modérée – l’hébergeur et opérateur de services cloud OVH « La hausse des prix de l’énergie est un mouvement de fond », explique Caroline Comet-Fraigneau, vice-président France Benelux d’OVH. « Le facteur coût est important et à un moment donné on est obligé d’augmenter les tarifs ». Le groupe a donc annoncé une augmentation d’environ 10% (hors taxes) de ses prestations, appliquée à l’échelle mondiale avec une première phase début octobre pour les nouveaux clients avant une extension à l’ensemble des clients de la société à compter du 1er décembre 2022. Les prix n’augmenteront cependant pas de 10% pour tous ses produits : certains augmenteront plus, d’autres moins, OVH refusant à ce stade de communiquer sur les hausses réelles pour chacun de ses produits et services. Cette progression des prix reste toutefois contenue et tout à fait assumée par le groupe : « On a estimé que cela suffisait pour l’instant mais on ne garantit pas qu’il n’y aura pas d’autre augmentation dans les 5 ans à venir », fait savoir Caroline Comet-Fraigneau. « On n’en fera pas plus d’une par an ». 

Evolution prix électricité

Evolution du prix de l’électricité sur le marché de gros (Epex Spot France). crédit : Selectra / Nord Pool Group)

Le bouclier de l’engagement contractuel

Si OVH peut se permettre de ne pas augmenter plus fortement ses tarifs pour contrebalancer la hausse de ses coûts énergétiques, c’est que la société a été prudente et réalisé en amont des achats d’énergie sur la base de contrats long terme. « Nous sommes couverts par notre politique d’achat jusqu’à fin 2022 », poursuit Caroline Comet-Fraigneau. « Vu les pénuries sur les marchés de l’énergie, j’ai peur que ce ne soit pas du court terme mais nous essayons d’être le plus équilibrés et nous restons très vigilants sur notre rapport prix/performances ». A la question de savoir comment les clients d’OVH réagissent à ses hausses de prix, la dirigeante du fournisseur de services estime que les entreprises sont tout à fait conscientes du contexte inflationniste et que cela ne constitue pas pour elles une surprise et… pas une raison pour elles de tomber dans les bras de la concurrence. « La question se pose surtout pour nos clients SaaS et les revendeurs qui ne savent pas encore comment et à quel niveau répercuter cette hausse de prix, alors que la situation est un peu moins compliquée pour les utilisateurs finaux », avance Caroline Comet-Fraigneau. Quoi qu’il en soit, ces hausses seront appliquées à l’ensemble des clients d’OVH qui compte bien ne pas faire d’exception. Ou presque : « cette augmentation est générale, sauf pour les clients ayant un engagement contractuel ».

Parmi les grands consommateurs d’énergie, les opérateurs de datacenters sont aussi en première ligne. Et lorsque l’on interroge les acteurs, certains comme Equinix bottent en touche, illustrant le caractère explosif du sujet. « L’entreprise ne peut, pour le moment, pas s’exprimer en détail sur ce sujet », nous a indiqué dans un mail un porte-parole du groupe. « La volatilité actuelle des prix est sans précédent, et nous faisons tout notre possible pour l’atténuer […] Nous continuerons à consacrer le temps et les ressources nécessaires pour protéger nos clients et partenaires contre la hausse actuelle sans précédent des coûts de l’énergie », peut-on lire dans un extrait de déclaration envoyé à la rédaction. 

Le tarif ARENH pas accessible à tous les acteurs

« On n’attend pas le lundi d’acheter de l’électricité pour le mardi », nous a expliqué de son côté Fabrice Coquio, directeur général d’Interxion. « En 2020, nous avons sécurisé une certaine part d’achat de fourniture énergétique en bénéficiant du tarif dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) ». Ce tarif ARENH, tout le monde ne peut pas en bénéficier et nécessite une consommation énergétique intensive ainsi qu’une « quote-part de la valeur ajoutée basée sur un certain pourcentage de la consommation d’électricité », poursuit Fabrice Coquio. Ainsi, les acteurs dont la quote-part de l’activité datacenter est minime ne sont pas éligibles et sont donc exposés de plein fouet à la hausse des prix, comme peut l’être justement Firstheberg.

Comme l’explique EDF, en France, le dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique permet à tous les fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions fixées par les pouvoirs publics. Le prix est actuellement de 42 €/MWh et le volume global maximal affecté au dispositif est égal à 100 TWh/an. Mais conformément aux dispositions du code de l’énergie et notamment l’article L336-3, si les demandes des fournisseurs au titre de ce dispositif excèdent le volume global prévu par les textes, soit 100 TWh/an, alors le volume d’ARENH cédé fait l’objet d’un écrêtement selon les modalités prévues par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Cela impacte de fait les contrats d’électricité intégrant le dispositif ARENH. En l’occurrence, pour 2022, la CRE a indiqué que le total des demandes d’ARENH des fournisseurs dépasse le volume global maximal (soit 160,05 TWh demandés). Par conséquent, et selon les modalités d’écrêtement prévues par la CRE, les volumes d’ARENH demandés sont réduits de 37,52%.

Un coût énergétique qui pourrait atteindre 80% de la facture

« Tout le problème est que normalement nous aurions dû en 2021 finir d’acheter nos approvisionnements en énergie en 2023 mais les prix ont commencé à s’affoler et il y a maintenant une grande incertitude sur leur évolution », raconte Fabrice Coquio. Dans ce contexte, difficile pour les clients d’Interxion d’échapper à une hausse des prix : « En 2022, on a limité l’impact avec une hausse de 14% de nos prix, quand d’autres augmentent le coût de la prestation de service électrique de 60-80% », pointe toutefois le dirigeant. « Nous avons prévenu nos clients dès le 1er trimestre 2022 et appelé les plus gros consommateurs d’énergie dont les factures se comptent en millions d’euros […] au 1er janvier 2022 l’énergie représentait 20 à 30% de la facture et on estime que cela pourra passer de 50 à 80% en 2023 ».

Cette hausse profitera-t-elle à Interxion dans son chiffre d’affaires ? Fabrice Coquio relativise la situation : « Mécaniquement il y a en effet une hausse de chiffre d’affaires, mais cela représente du mauvais chiffre d’affaires basé sur un service additionnel se caractérisant par une absence totale de marge. C’est un principe destructeur d’EBITDA car cela écrase la marge globale qui intéresse justement les investisseurs », analyse le directeur général d’Interxion. « Je suis assez inquiet de la situation mais je pense que le bon sens va finir par s’imposer ». Les prochains mois nous le diront…

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