Emmanuel Petit (KPMG) : « Pour les DSI, l’un des grands enjeux est de bien connaître les métiers et de travailler en proximité avec eux »

Depuis janvier 2020, Emmanuel Petit est DSI du cabinet de conseil, d’audit et d’expertise comptable KPMG en France. Dans cet entretien à notre confrère CIO, il décrit les principaux enjeux IT de KPMG en France, l’un des Big Four – les quatre plus grands acteurs de l’audit et du conseil mondiaux. Il dévoile également les nombreuses facettes de son rôle de DSI actuel, au service de plusieurs métiers différents.

Pouvez-vous nous présenter KPMG en France ?

Emmanuel Petit. KPMG est un cabinet d’audit et de conseil, qui a récemment fêté son centenaire en France. Il compte 11 000 collaborateurs, répartis dans 200 bureaux sur tout le territoire français. Les quatre métiers du cabinet (audit, conseil, expertise-comptable et droit & fiscalité) couvrent tous les marchés, dont les ETI, moyennes entreprises et TPE. En 2022, KPMG est devenu en France une entreprise à mission, avec pour raison d’être d’oeuvrer et d’innover pour bâtir la confiance, allier performance et responsabilité, faire grandir les talents au coeur de l’économie, des territoires et de la société.

Le cabinet français est par ailleurs membre du réseau KPMG, présent dans 143 pays et fort de plus de 265 000 collaborateurs.

De quelle façon est organisée la fonction IT au sein du réseau KPMG ?

Nous avons une approche hybride, privilégiant la mutualisation ou la décentralisation en fonction du contexte. Nous travaillons avec notre global chief digital officer afin de voir là où il est pertinent de regrouper les forces et là où il faut plutôt avancer localement, en autonomie, pour répondre aux spécificités du marché. Nous évaluons également des technologies plus disruptives, comme le métavers, pour savoir s’il faut investir ou non, ou le fonctionnement en mode produit.

Que représente l’organisation IT de KPMG en France ?

La DSI France accompagne les 11 000 collaborateurs répartis sur l’ensemble du territoire. Nous accompagnons également une douzaine de pays ou régions sous licence.
Nous avons cinq grands pôles. Le pôle opérations gère les infrastructures, le run, le support aux utilisateurs et le SecOps. Le pôle architecture et développement inclut également les équipes data et réalise les projets. Le pôle business relationship management réunit les pilotes des différents domaines, les business analysts et les responsables d’applications sur les différents portefeuilles de projets. Un pôle PMO fournit un cadre méthodologique et assure aussi un rôle d’accompagnement et de coach agile. Enfin, un dernier pôle réunit les fonctions d’administration, de sécurité et de pilotage stratégique.

Nous avons également une organisation d’ingénierie, qui fonctionne en mode produit et est pilotée par un chief product officer (CPO). Elle travaille notamment sur KPMG Pulse, plateforme digitale destinée aux dirigeants de TPE et moyennes entreprises, qui fournit à ces derniers des outils technologiques et des indicateurs de performance afin de piloter leurs activités. Pulse est utilisée par 70 000 clients pour KPMG en France. Cette organisation en mode produit nous permet de mettre en pratique les fondamentaux du DevSecOps afin d’avoir un service qui évolue de façon fluide, tout en fédérant un écosystème avec un ensemble de partenaires et de façon sécurisée.

Le fonctionnement en mode produit est donc assez récent chez KPMG en France. Comment s’est déroulée la mise en place d’une telle organisation ?

Pour basculer vers une véritable organisation en mode produit, nous avons fait appel au démarrage à un CPO de transition, qui gérait le product management et le product design. Du côté de la DSI, nous avons en parallèle mis en mode produit notre plateforme technologique, qui rassemble les outils permettant d’accélérer la construction de plateformes digitales : CI/CD, API management, data as-a-service, etc. Je souhaitais faire adhérer les développeurs à cette nouvelle démarche. Nous avons attendu que le modèle soit assez mature, avec suffisamment de KPIs pour donner plus d’autonomie dans un cadre maîtrisé et transférer la responsabilité complète des équipes d’ingénierie au CPO. Pour que l’adoption d’un tel modèle réussisse, il est primordial qu’entre le CPO et le CIO, cela fonctionne bien.

KPMG regroupe plusieurs métiers en France. Observez-vous des différences en termes de maturité digitale ?

L’un des grands enjeux d’un DSI, en particulier dans les services professionnels, consiste à bien connaître les activités des métiers et à travailler en proximité avec eux. Nous servons quatre métiers avec des parcours et des enjeux différents. Globalement, il existe un socle commun aux différents métiers. Au niveau de la DSI, nous avons une vision transverse, qui nous permet d’identifier des mécaniques assez similaires et de parvenir à un haut niveau de réutilisabilité.

En matière de transformation digitale, nos métiers se situent à des points différents sur la courbe de maturité. Le métier advisory, par exemple, évolue de plus en plus vers la technologie, avec plus de 900 consultants spécialisés dans ce domaine. Pour les commissaires aux comptes, les priorités sont surtout d’aller vers « l’auditeur augmenté » : l’intelligence artificielle, le machine learning et l’automatisation permettent dans certains cas de dégager de la valeur et du temps pour nos experts.

Emmanuel Petit (KPMG) : « zero trust est un bel idéal, mais cela ne se décrète pas. »

Justement, quelles sont vos priorités en tant que DSI ?

La première de mes priorités concerne la cybersécurité, ainsi que les sujets connexes que sont la disponibilité et la résilience. Lors de la crise sanitaire, nous avons travaillé en accéléré sur ces aspects. En raison de la nature des données confiées par nos clients, ces sujets sont toujours très sensibles.

Nous sommes notamment certifiés ISO 27001, avec une logique d’amélioration continue. Nous essayons d’anticiper les ambitions des cyber-malfaiteurs. Par exemple, en 2022, nous avons déployé un outil de DLP (data loss prevention), un sujet assez complexe dans nos environnements, où la gestion des risques et de la confidentialité des informations sont centrales. La difficulté est qu’il faut toujours composer avec l’historique. Ainsi, zero trust est un bel idéal, mais cela ne se décrète pas. Nous abordons ces sujets avec pragmatisme.

Nous travaillons aussi sur les aspects organisationnels, sur qui fait quoi aux différents niveaux du réseau KPMG (global, régional et local). Le but est de mutualiser notre puissance d’innovation, en entraînant l’ensemble du réseau et en s’appuyant sur les pays les plus matures.

Durant la crise du Covid, nous avons dû beaucoup accélérer sur une autre priorité, la transformation digitale. Nous avons dû faire en deux mois ce que nous aurions peut-être mis deux ans à faire dans d’autres circonstances, notamment sur la digitalisation et la dématérialisation des échanges. Avec 200 bureaux en France et une dimension internationale, nous avions déjà un réseau adapté au travail à distance. Il a surtout fallu accompagner les métiers et les collaborateurs dans la digitalisation des pratiques, tout en veillant à l’optimisation des coûts. Ce défi a été relevé, nous n’avons pas connu un seul jour d’inactivité forcée à cause de problématiques de ce type. Sans oublier notre approche stratégique, après le mode réactif qui a dominé durant la crise sanitaire.

Nous avons aussi un enjeu de croissance externe. Début 2022, KPMG a par exemple acquis Silverprod, un important intégrateur de l’ERP Microsoft Dynamics en France. L’enjeu est de bâtir le SI de demain, avec plusieurs zones différentes en termes d’autonomie et de contrôle.

Parmi les missions des DSI, un volet important concerne les solutions apportées aux utilisateurs. Quel est votre point de vue sur ces aspects ?

L’expérience collaborateur est fondamentale. L’humain, c’est notre capital. Le marché de l’emploi reste très tendu, avec la recherche de quête de sens. Il s’agit d’attirer et de retenir les talents, en particulier les jeunes générations. L’environnement de travail doit être adapté aux nouveaux modes de management. Pour cela, nous nous appuyons sur des outils collaboratifs pour proposer une expérience toujours plus fluide, de façon itérative.

Nous avons aussi un programme de citizen developers (développeurs citoyens), afin de rendre les utilisateurs métiers plus autonomes tout en gardant le contrôle. Nous mettons à la disposition des citizen developers un environnement contrôlé autour des outils de Microsoft. Beaucoup de compétences data sont également réparties dans les métiers. Ces initiatives internes servent de catalyseur pour des services que nous pouvons ensuite proposer à nos clients. Le programme est piloté par plusieurs équipes et les métiers y sont étroitement associés.

Au niveau des infrastructures, quelle est votre stratégie ?

Nous sommes engagés dans une trajectoire de move to cloud, qu’il s’agit de maîtriser afin de déterminer ce qui peut aller dans le cloud public, dans un cloud privé et ce qui doit rester sur des infrastructures on premise pour des raisons de coûts ou de sensibilité des données. Tout mettre dans le cloud public n’est pas toujours le plus pertinent, que ce soit sur le plan économique ou en termes d’efficacité.

Emmanuel Petit (KPMG) : « en tant que DSI, il faut d’abord savoir être solide sur ses fondamentaux : l’infrastructure et la sécurité en premier lieu. »

Votre parc applicatif est-il plutôt constitué de solutions maison ou d’outils du marché ?

Notre paysage applicatif comporte beaucoup de progiciels verticaux, car plusieurs de nos métiers sont des professions réglementées et il n’est pas forcément pertinent de développer leurs outils en interne. Nous avons quelques outils propriétaires, mais sinon nous utilisons les standards du marché. Nous utilisons aussi beaucoup de solutions SaaS, en essayant de trouver les meilleures combinaisons pour créer plus de valeur pour nos clients, tout en gardant la maîtrise des données. Nous avons également des points de contact digitaux, comme la plateforme Pulse ou une gamme d’outils pour nos équipes d’audit et de deal advisory notamment. Enfin, nous réalisons quelques développements spécifiques, par exemple pour l’auditeur augmenté ou le digital audit.

Quelle est la place de l’innovation technologique chez KPMG ?

En France, KPMG a un innovation lab, dont l’une des activités est de soutenir un écosystème de start-ups que nous suivons. Nous avons également un accélérateur interne pour porter des idées émanant de nos collaborateurs, ainsi que de nombreuses équipes qui accompagnent nos clients dans leur transformation. Un de nos leviers, c’est le partage d’expertise : nous disposons de collaborateurs très pointus dans différents pays, sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour avoir le meilleur impact pour nos clients.

Le sujet de l’impact environnemental du numérique prend de l’ampleur dans tous les secteurs et de plus en plus de DSI s’en emparent. Comment abordez-vous ces enjeux de votre côté ?

La DSI est évidemment intégrée à la stratégie ESG du cabinet. À notre niveau, nous concevons celle-ci comme une fusée à trois étages. Le premier est constitué du Green IT traditionnel. Nous nous y intéressions déjà auparavant, mais nous allons encore plus loin, avec des critères ESG sur tous nos appels d’offres, une gestion rigoureuse du cycle de vie des équipements, du sourcing sur des équipements reconditionnés ainsi qu’une optimisation de nos consommations dans nos datacenters et dans le cloud, en cherchant en permanence ce que nous pouvons réduire ou éteindre. Nous accompagnons aussi les utilisateurs dans la transformation des usages pour plus de sobriété numérique par le biais de notre équipe digital workplace.

Le deuxième niveau porte sur l’outillage qui permet de mesurer l’empreinte collective de l’entreprise. Le but est d’aller vers des indicateurs en temps réel plutôt qu’annuels, et les plus exhaustifs possibles. Nous examinons notamment les données de l’ERP, mais pas seulement. Cet outillage repose sur un ensemble de solutions.

Enfin, le troisième et dernier niveau concerne les clients de KPMG. Il s’agit de les aider à accélérer sur ces sujets, à avoir accès aux bonnes données. Sur ce sujet, nous collaborons beaucoup avec les équipes de sourcing internationales, avec des achats de données coordonnés et au bon moment, pour avoir la quantité, la qualité et le timing. Nous travaillons aussi sur la construction des offres car, à partir de 2024, même les PME seront concernées par le reporting CSRD. Pour nous, c’est un enjeu à la fois sociétal et business, car il faudra accompagner tous nos clients sur ces sujets.

Un autre sujet récurrent pour les DSI concerne la pénurie de compétences technologiques. L’observez-vous également et si oui, de quelle façon y répondez-vous ?

Comme partout, nous sommes confrontés à la guerre des talents, l’IT étant l’un des domaines les plus tendus. L’objectif est d’attirer et de conserver en interne une colonne vertébrale en termes d’expertise et de management. Notre secteur n’est pas forcément celui vers lequel se tournent les jeunes développeurs. Nous sommes sur des métiers souvent encore perçus comme traditionnels, mais sur lesquels le digital et l’ESG prennent une part de plus en plus importante et offrent un formidable terrain de jeu. Le fait de participer à cette transformation est un vrai challenge !

Comment envisagez-vous l’année 2023 ?

La succession de crises que l’on traverse incite souvent à agir à court terme, en réagissant à des facteurs exogènes. Côté IT, nous sommes acteurs de cette transformation et nous nous concentrons aussi sur le temps long, afin de catalyser la création de valeur pour les prochaines années.

Pour terminer, qu’est-ce qui vous plaît et vous anime dans votre fonction actuelle ?

En tant que DSI, il faut d’abord savoir être solide sur ses fondamentaux : l’infrastructure et la sécurité en premier lieu. Dans le même temps, les équipes IT prennent de plus en plus d’ampleur et ont un impact sur l’organisation. C’est une aventure humaine de transformer ces équipes et d’attirer de nouveaux talents. C’est ce qui fait que je me lève le matin.

Ce qui me passionne, c’est aussi de travailler main dans la main avec les métiers pour créer des solutions innovantes, qui amènent de la valeur. Cela reste un de mes moteurs de fédérer, de réappliquer certaines briques sur d’autres cas, mais avec une touche d’innovation, en challengeant la façon dont on fonctionne.

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