Les États-Unis se dirigent-ils vers une économie sans numéraire grâce à la blockchain?

La Fed et les banques centrales d’autres pays étudient la création de monnaies numériques soutenues par l’Etat qui permettraient aux consommateurs et aux entreprises d’avoir des portefeuilles numériques à partir desquels ils pourraient acheter, vendre et échanger.

Un monnaie chiffrée et anonymisée fournit par le gouvernement ? Cela peut sembler farfelu. Mais Rod Garratt, professeur d’économie à l’Université de Californie à Santa Barbara, rappelle que l’argent aussi est un processus P2P.

Un ancien responsable de la Réserve fédérale estime que les banques centrales ne vont plus tarder à adopter une forme de monnaie numérique qui pourrait ressembler au bitcoin et qui offrira aux entreprises et aux consommateurs un moyen plus pratique et anonyme d’acheter et de vendre des biens et de stocker leurs économies. L’avènement d’une monnaie numérique peer-to-peer (P2P) soutenue par le gouvernement reposerait probablement sur un grand livre électronique basé sur la blockchain, et pourrait marquer le début d’une économie sans numéraire ou simplement venir compléter nos transactions en espèces sonnantes et trébuchantes.

Des prémisses de ce genre de transactions sont remarquables en Suède. Le pourcentage de liquidités en circulation en fonction du produit intérieur brut y a considérablement diminué ces dernières années. L’argent physique représente maintenant moins de 1,2% du PIB de ce pays. « Les espèces ne sont plus acceptées dans de nombreuses entreprises et même certaines banques n’en proposent plus » indique Rod Garratt, professeur d’économie à l’Université de Californie à Santa Barbara.

« Ce n’est pas une chose si folle que cela »

Ancien vice-président de la division d’études sur l’argent et les paiements à la Federal Reserve Bank de New York, Rod Garratt est intervenu lors de la conférence « Business of blockchain » au MIT à Boston cette semaine. « Il est probable qu’un certain type de monnaie numérique issu des banques centrales soit disponible dans un avenir raisonnablement proche. Je pense que c’est une progression naturelle. On en parle depuis longtemps. » L’universitaire a conseillé l’année dernière la Banque des règlements internationaux (BRI), en Suisse, dont l’objectif est de favoriser la coopération entre les banques centrales du monde entier. L’institution a exploré le rôle que pourraient jouer les crypto-monnaies si les nations commençaient à les utiliser.

Un monnaie chiffrée et anonymisée fournit par le gouvernement ? Cela peut sembler farfelu. Mais Rod Garratt rappelle que l’argent aussi est un processus P2P. « Finalement ce n’est pas une chose si folle que cela » s’amuse-t-il. En effet, une monnaie numérique soutenue par un Etat pourrait permettre de supprimer les frais bancaires qui ciblent souvent les pauvres qui effectuent de nombreux petits transferts de paiements électroniques via des services tels que Western Union, tout en créant des gains d’efficacité. Avec la blockchain, le temps nécessaire à la compensation et au règlement des fonds pourrait être considérablement réduit, vu que la confidentialité de la transaction est assurée. Chaque consommateur pourrait se voir attribuer une clé privée associée à ses fonds électroniques et être en mesure d’utiliser des clés publiques pour les paiements.

L’Equateur, premier expérimentateur

La banque centrale suédoise, The Riksbank, envisage actuellement d’émettre une monnaie numérique ou une crypto-monnaie similaire au bitcoin pour les paiements mobiles. Appelée e-Krona, elle serait utilisée pour des petits paiements entre consommateurs, entreprises ou agences gouvernementales.

En 2015, c’est l’Equateur qui crée la première monnaie numérique parrainée par l’Etat. Appelée Sistema de Dinero Electrónico (système de monnaie électronique), soutenue par la banque centrale, elle permettait aux gens d’avoir leurs comptes sur leurs téléphones et d’y réaliser leurs transactions. L’Equateur, cependant, a dû arrêter ce processus cette année sous pression des banques.

Plusieurs possibilités

D’autres banques centrales s’intéressent à ce genre de projet, indique Brian Behlendorf, directeur exécutif de la Blockchain Hyperledger. Une idée initialement lancée par le blogueur J.P. Koning s’appelle Fedcoin, une monnaie de type bitcoin basée sur la blockchain qui offrirait un rapport de 1:1 entre un dollar américain et un jeton numérique.

Robleh Ali, chercheur en monnaies numériques au MIT Media Lab, a déclaré qu’une monnaie numérique soutenue par le gouvernement ne devrait pas nécessairement exister sur un registre distribué, comme le fait Bitcoin aujourd’hui. Il pourrait être administré centralement par la Réserve fédérale et les autres banques centrales. En 2013, M. Garratt a participé à une preuve de concept multi-banques appelée Project Jasper, qui a exploré l’utilisation de la blockchain comme base d’un système de paiement numérique de banque à banque pour les transferts monétaires importants. Ainsi, par exemple, si un propriétaire devait vendre sa maison, les banques pourraient utiliser le grand livre électronique pour régler le transfert de fonds.

Adieu les banques commerciales ?

Si la Réserve fédérale ou d’autres banques centrales devaient soutenir la monnaie numérique, elle pourrait prendre de nombreuses formes. Par exemple, elle pourrait être exploitée dans un système fermé entre les banques pour les transferts d’argent quotidiens, quel que soit le montant. Ou les institutions bancaires pourraient aussi ouvrir des comptes bancaires centraux pour chaque consommateur. La Fed pourrait également émettre une pièce numérique, semblable au bitcoin, qui représenterait la valeur stockée de l’argent fiduciaire.

Ce potentiel de la blockchain n’est pas sans complications. Les politiques monétaires seraient impactées puisque les banques centrales devraient gérer et contrôler les réserves de liquidités. Une autre problématique serait de savoir si une économie numérique supprimerait l’intermédiaire des banques commerciales.

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