Plaidoyer pour une culture contrôlée de la prise de risque

Dans un essai, Xavier Durand, directeur général de Coface, invite les entreprises à changer de culture face au monde de plus en plus incertain dans lequel elles évoluent. Il défend un management en leader de jazz plutôt qu’en chef d’orchestre, invitant dirigeants et managers à « oser le risque ».

Le monde VUCA (volatil, incertain, complexe, ambigu) entrevu par les stratèges américains à la fin de la guerre froide est aujourd’hui une réalité, à laquelle les organisations doivent s’adapter. Dans un essai intitulé « Oser le risque », Xavier Durand, directeur général de l’entreprise d’assurance-crédit Coface depuis 2015, propose une approche du management et du leadership adaptée à cette nouvelle donne. Pour les décideurs IT, de plus en plus amenés à prendre des décisions rapides et à effectuer des arbitrages desquels dépendent la continuité des activités et la pérennité de leur entreprise, cet ouvrage apportera des clefs pour comprendre comment aborder le risque dans le monde actuel. Il permet également d’appréhender les changements de culture à mettre en oeuvre, et suggère des modèles de management et de leadership adaptés à ces nouveaux paradigmes.

« Vouloir réduire ou encadrer à l’excès les risques est au mieux une quête illusoire, au pire un frein à l’innovation et à la performance », prévient Xavier Bertrand en introduction. Dans ce livre, ce diplômé de l’École Polytechnique et de l’École Nationale des Ponts et Chaussées s’appuie notamment sur son expérience à la tête de Coface, qu’il a accompagnée dans son redressement et sa transformation, et plus récemment lors de la crise du Covid-19. Il met également à profit son parcours antérieur, avec plus de trente ans passés dans des postes de direction, où il a vécu la crise financière de 2008. L’ouvrage se nourrit aussi de sa culture de musicien, Xavier Durand étant un passionné de jazz de formation classique, ainsi que de nombreux exemples issus du parcours d’autres dirigeants ou de l’actualité économique.

Dans un premier chapitre, Xavier Durand explique l’importance de maîtriser le mouvement, rappelant que l’organisation est « d’abord et avant tout un organisme vivant soumis à des processus d’apprentissage et qui se renforce par étapes, en se confrontant à son écosystème, en apprivoisant les menaces et en prenant des risques. » Après avoir vanté les vertus du déséquilibre, il présente les écueils courants dans la gestion du risque, de l’inaction à la planification excessive, en passant par une gestion réduite à la conformité aux processus de contrôle, pour finir par l’extrême inverse, le « bougisme ». Il revient ensuite sur les caractéristiques du monde actuel dans un second chapitre, en détaillant les quatre critères du modèle VUCA. Pour Xavier Durand, « nous avons basculé depuis trente ans dans un nouvel âge du risque où il ne suffit plus d’appliquer les « bonnes pratiques » ou de se fier au passé pour se mouvoir dans le présent et dans l’avenir. » Il décrit ensuite ce qu’il appelle les trois âges du risque, depuis l’émergence de la notion, associée à la modernité et au libre arbitre, à la prise de conscience de l’omniprésence du risque dans les sociétés postmodernes, pour finir par les risques contemporains, de véritables lames de fond démographiques, environnementales, géopolitiques ou sanitaires.

Piloter l’entreprise comme un jazzman

Face à ces changements, Xavier Durand propose une approche du management visant à tirer profit des contradictions. Pour lui, la responsabilité du dirigeant est de permettre à son organisation d’intégrer des contraintes multiples, sans être en situation de dissonance cognitive. Cela nécessite notamment une culture de partage de l’information, indissociable de la confiance. « Au management normatif et administratif où l’on essaye de tout prédire, écrire et orchestrer selon une approche centralisée, il faut opposer un modèle où l’on donne la parole aux uns et aux autres en temps réel, où chacun bénéficie d’une marge d’interprétation et de jeu collectif, et où l’interaction s’effectue sans partition pré-écrite qui rassure tout le monde. Dans cette perspective, le dirigeant est moins un chef d’orchestre qu’un leader de jazz dont le talent consiste à instaurer une culture de prise de risque contrôlée au sein de son entreprise : il donne à ses collaborateurs le moyen d’être comme des compositeurs spontanés, en position de décideurs et de suiveurs à la fois. »

La dernière partie de l’ouvrage offre des pistes pour bâtir un leadership éclairé, avec une improvisation maîtrisée. Dans celle-ci, les DSI retrouveront une vision proche par certains aspects du « servant leader », remis en avant avec les approches agiles : ego mis de côté, conscience de ses limites, humilité… À ces éléments s’ajoute une lucidité face aux menaces, les leaders ne devant occulter nul risque, même mortel. « Toute la difficulté du rôle de dirigeant se situe à ce niveau : instaurer la confiance sans céder à l’optimisme béat; définir une ambition inspirante tout en étant à l’écoute des menaces et sans céder à la peur paralysante; développer une culture de l’échange d’informations et de l’écoute sans être parasité par des bruits inutiles; s’appuyer sur un leadership cohérent, déterminé, redoutable par à la fois son efficacité et son agilité, sans oublier de décentraliser et de déléguer la prise de décision », suggère Xavier Durand. « En résumé, il ne s’agit pas d’être imprudent ou téméraire, mais d’accepter le risque comme un principe fondateur de la vie et de l’économie. »

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