Pourquoi Intel dévisse face à AMD : l’avis éclairé de François Piednoël

Ingénieur chez Intel pendant 20 ans, François Piednoël a travaillé sur la conception de plusieurs processeurs – du Pentium III au Core i7 – et il explique aujourd’hui que le fondeur de Santa Clara a perdu sa ligne directrice et qu’il est « chanceux » qu’AMD ne puisse pas fabriquer suffisamment de processeurs pour faire plus de dégâts.

Les puces Ice Lake de 10e génération ont été une erreur selon François Piednoël. (Crédit IDG)

Dans une vidéo publiée cette semaine l‘ancien ingénieur principal d’Intel et aujourd’hui architecte principal chez Mercedes-Benz Research & Development North America, François Piednoël, a prodigué ses conseils sur la façon de «corriger» les processeurs Intel, et critiqué les dirigeants actuels, qui ne sont pas issus de la traditionnelle filière ingénieurs. Bob Swann est CEO d’Intel depuis juin 2018, après avoir été directeur financier chez General Motors puis Intel. M. Piednoel déclare ainsi que les instructions AVX512 étaient une mésaventure et a déclaré que ce n’était que de la chance qu’AMD n’ait pas récupéré une plus grande part du marché des PC (près de 20% tout de même selon Mercury Research). « Premièrement, Intel est vraiment dans le flou », a déclaré M. Piednoël lors de sa présentation vidéo de près d’une heure . «Les dirigeants d’Intel d’aujourd’hui ne sont pas des ingénieurs, ce ne sont pas des gens qui comprennent ce qu’il faut concevoir pour le marché.» M. Piednoël a déclaré que, depuis 2016, les décisions techniques d’Intel étaient en grande partie « absurdes ».

Rappelons qu’après 20 ans de service, M. Piednoël a quitté Intel en 2017 après avoir été ingénieur principal et architecte en charge des performances, travaillant sur les processeurs Pentium III au Core i7 de 6e génération. L’ingénieur au franc-parler assumé a souvent fait des présentations techniques et des démonstrations à la presse, expliquant avec passion pourquoi les décisions de conception prises par Intel étaient les bonnes décisions. L’ancien de Saint-Cyr et de l’Université du Havre a admis que ses informations sur Intel sont essentiellement «obsolètes» et dépassées depuis des années. Cela lui permet également de parler librement, car il ne bénéficie d’aucune donnée confidentielle obtenue dans le cadre d’un NDA, a-t-il précisé. Au lieu de cela, son analyse est principalement basée sur des informations publiques qui tourbillonnaient autour d’Intel. La vidéo entière vaut le détour pour les passionnés, mais nous avons mis en évidence ses explications les plus intrigantes ci-après.

 

L’intégration des instructions vectorielles AVX512 dans un processeur pour PC portable comme cet Ice Lake de 10e génération est une erreur, a déclaré l’ancien ingénieur d’Intel. (Crédit IDG)

Le jeu d’instructions vectorielles AVX512 est à la base de l‘accélération DL Boost AI qu’Intel utilise dans ses processeurs serveur Xeon, et cette technologie a également été insérée dans les puces grand public telles que le processeur pour ordinateur portable Ice Lake de 10e génération. M. Piednoël a catégoriquement rejeté l’inclusion d’AVX512 dans les puces grand public comme une erreur. « Vous avez eu Skylake et Skylake X pour une raison », a déclaré l’ingénieur. « L’AVX512 est conçu pour une course au rendement qui a été perdue par les GPU. Il existe deux façons d’obtenir du rendement. La première consiste à obtenir du rendement en ayant des instructions vectorielles plus larges vers votre cœur, et l’autre consiste à avoir plus de cœurs. »

M. Piednoël, qui m’avait expliqué après la mésaventure du Pentium 4 d’Intel que « nous avons appris que vous ne pouvez pas recompiler le monde », a semblé impliquer que la pile logicielle d’Intel ne gagnait pas non plus cette fois. « L’état des logiciels sur le marché ne favorise vraiment pas l’utilisation massive d’instructions vectorielles », a déclaré l’ancien responsable technique dans la vidéo. «En fait, vous pouvez le voir clairement dans Cinebench par exemple – ce n’est pas l’un de mes benchmarks préférés, en particulier pour un ordinateur portable où cela n’a aucun sens – mais vous pouvez voir qu’AMD gagne la bataille du rendement. C’est parce qu’ils ont plus de cœurs et qu’ils peuvent se permettre d’en avoir plus. »

Des erreurs ont été commises

Pour M. Piednoël, qui a essentiellement gagné sa vie pendant deux décennies en dominant les processeurs AMD, cette dernière ligne doit particulièrement piquer. « Dadi (Pearlmutter) a compris que les grands vecteurs de l’électronique grand public comme les ordinateurs portables sont sur la mauvaise voie : 1) Plus de puissance pour l’usage, c’est bien. 2) Presque aucun logiciel ne l’utilise, les cœurs plus gros. 3) C’est bon pour les benchmarks de débit », a déclaré F.Piednoël. « Qui en a besoin sur un ordinateur portable? »

M. Piednoël poursuit en indiquant que la décision de continuer l’exploitation des instructions AVX512 dans les puces grand public a rendu les matrices plus grandes et entraîné des besoins plus élevés en énergie. Les processeurs Intel, pour ceux qui ne le savent pas, ont depuis longtemps des vitesses d’horloge abaissées pour les charges de travail AVX512. Ce n’est probablement pas nouveau pour quiconque a entendu le célèbre créateur de Linux, Linus Torvalds, manifester son mécontentement contre l’approche AVX512 d’Intel le mois dernier. « J’espère qu’AVX512 mourra d’une mort douloureuse, et qu’Intel commencera à résoudre de vrais problèmes au lieu d’essayer de créer des instructions magiques pour ensuite créer des repères sur lesquels ils pourront bien figurer », a déclaré Linus Torvalds, qui est loin d’être timide.

Dispersion avec des rachats inutiles

Une autre erreur commise par Intel a été de détourner la société de son activité principale de fabrication de processeurs rapides, a déclaré M. Piednoël. Au cours de la dernière moitié de la décennie, Intel a été à l’origine d’une frénésie d’achats très divers ce qui a empêché la société de se concentrer sur son activité CPU. Cela a permis à son rival AMD de le rattraper , et la seule chose qui empêche Intel de perdre une part de marché plus grande est la contrainte de volume d’AMD dans la fabrication de ses populaires processeurs.

Les points mis en avant par François Piednoël pour expliquer l’impasse actuelle des Xeon.

« Intel est très chanceux qu’AMD ne puisse pas obtenir plus de volume, pour être en mesure de rivaliser », souligne M. Piednoël. « S’ils obtenaient du volume, la différence de prix nuirait certainement beaucoup plus à la part de marché d’Intel que ce qu’ils perdent actuellement.» Mais AMD ne fabrique pas ses processeurs et délègue cette tâche délicate à TSMC, qui travaille avec beaucoup d’autres clients comme Apple ou Qualcomm. Hier encore, AMD a atteint un niveau record de 20% de part de marché sur le segment des ordinateurs portables, selon les chiffres de Mercury Research. Nous avons qualifié les nouvelles puces d‘ordinateur portable 7 nm Ryzen de la série 4000 d’AMD de «changement de donne» dans notre revue de ce printemps. «Intel a de la chance qu’AMD ait des contraintes de capacité et à cause de cela, ils ne peuvent pas gagner des parts de marché plus rapidement», a-t-il déclaré. «Nous avions un peu la même chose quand AMD a sorti l’Athlon 64 et nous essayions essentiellement de les rattraper en passant du Pentium 4 à Conroe

En effet, AMD avait considérablement rattrapé les performances d’Intel alors que le Pentium 4 et son architecture Netburst n’avaient tout simplement jamais clairement distancé AMD. Pendant quelques années, les puces d’AMD ont été les processeurs incontournables, tandis que le Pentium 4 était boudé. AMD avait ajouté des instructions 64 bits à ses puces Athlon, alors qu’Intel misait sur son architecture IA-64 (Merced/Itanium). Avec les processeurs Intel «Conroe» ou Core 2 en 2006, Intel a repris la couronne des performances et ne l’avait littéralement plus perdu jusqu’à la résurgence d’AMD avec les Ryzen en 2017. Les prochaines puces Tiger Lake d’Intel réduiront l’hémorragie, mais ne l’arrêteront pas complètement, a déclaré M. Piednoël.

L’ancien ingénieur d’Intel a déclaré que le noyau Zen d’origine était loué pour ses performances SMT alors qu’en réalité, il ne faisait que masquer de mauvaises performances avec un seul thread

L’Hyper-Threading de Ryzen avait l’air bien en raison de ses performances médiocres avec un seul thread

Dans sa sa vidéo, M. Piednoël entre dans les détails techniques de l’architecture Intel Skylake, affirmant que cette dernière a été essentiellement conçue pour des performances avec à un seul thread et a ensuite été améliorée pour le multicœur au fil des générations. Bien que l’ingénieur félicite AMD pour son rendement, il souligne que les cœurs Zen de la société ont leurs propres problèmes. Par exemple, le processeur Ryzen d’origine semblait offrir beaucoup plus d’efficacité avec son multi-thread symétrique (SMT) activé qu’avec l’Hyper-Threading activé sur les puces Intel. « Ce que les gens n’ont pas compris à l’époque, c’est que la possibilité pour le SMT de gagner en performance n’était pas seulement aussi bonne, ou aussi mauvaise, que désactivé », a déclaré M. Piednoël. Si les performances avec le SMT désactivé étaient aussi bonnes que chez Intel, il ne resterait pas autant de travail pour le SMT ou l’Hyper-Threading.

Intel devrait arrêter d’essayer de vendre un même cœur pour tous les clients Xeon et concevoir plutôt des versions de niche «à emporter» spécialisées pour les machines virtuelles, les serveurs Web et le HPC, a déclaré l’ancien ingénieur d’Intel François Piednoël.

Xeon devrait libérer l’espace mémoire inutilisé

Les conceptions de puces Intel Xeon exploitent actuellement les mêmes cœurs pour toutes les utilisations, des superordinateurs pour le calcul intensif aux vieux serveurs pour le Web et les machines virtuelles. Ces fonctions extrêmement différentes ne touchent pas souvent la partie de la matrice réservée autres charges de travail, a déclaré M. Piednoël. Cela peut entraîner une perte d’espace de 10% pour une utilisation particulière. Cet espace pourrait être mieux utilisé pour ajouter à la place des cœurs supplémentaires afin de faire mieux sur les marchés qui n’ont pas besoin d’AVX512. Cela, cependant, a-t-il dit, exigerait qu’Intel soit flexible. «À l’heure actuelle, Intel est si rigide», a déclaré M. Piednoël. «C’est juste : j’ai un noyau et je vais l’utiliser partout.» Il a déclaré que l’une des équipes de conception de puces d’Intel IDC, en Oregon ou à Austin pourrait être mise au travail pour concevoir des versions de niche ciblées du Xeon pour des besoins plus spécialisés plutôt que de vendre le même cœur pour tous les scénarios.

Seuls les MBA progressent

M. Piednoëln’a pas ménagé ses mots au sujet de la culture d’Intel, qui, selon lui, a radicalement changé et promeut les diplômés de MBA par rapport à ceux qui possèdent un bagage technique. Cela a abouti à :« aucune innovation, aucune feuille de route agressive, et aucun employé motivé parce qu’ils sont découragés, car seules les titulaires de MBA progressent dans l’entreprise », a déclaré sur un ton amer M. Piednoël. Plutôt qu’un appel à la mobilisation pour contrer AMD, l’Intel d’aujourd’hui n’est tout simplement pas disposé à manœuvrer ou à contre-attaquer. Au lieu de cela, dit-il, les feuilles de route pour les processeurs sont établies par des planificateurs ayant un MBA qui ne sont pas capables de s’adapter. En ce moment, les usines d’Intel continuent à produire suffisamment de processeurs pour rester rentables, mais M. Piednoël a déclaré que la marque Intel se perd lentement.

« Je me souviens que lors du lancement du Pentium II, Andy Grove avait dit quelque chose à l’équipe » : « Dieu ne nous a donné qu’une seule marque. Ne gâche jamais ça. Je pense qu’en ce moment, nous gâchons la marque. Alors, lancez-vous et travaillez plus dur pour vous assurer que l’Extreme Edition est réellement Extreme et gagnez. »

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