Qualcomm aurait jeté son dévolu sur un partie des activités de design de processeurs d’Intel, en particulier sur celles dédiées à l’univers du PC. Quelles seraient les conséquences d’un tel rachat pour le marché, et pour les puces basées sur les architectures x86 et ARM ?
La bataille est féroce entre Qualcomm, Intel, AMD et Apple pour la domination du marché des puces pour les PC IA, présentés comme l’avenir de l’informatique. De fait, le projet qu’aurait Qualcomm de racheter des segments de l’activité de conception de puces d’Intel rendrait la situation encore plus électrique. Des sources anonymes ont rapporté à l’agence Reuters que Qualcomm envisagerait, en particulier, de racheter la savoir-faire de son concurrent en matière de processeurs pour PC, alors qu’Intel chercherait à se séparer de certains de ses actifs avant une prochaine réunion de son conseil d’administration.
Evoqué depuis des mois, le rachat par Qualcomm de certaines activités d’Intel est loin d’être acquis : « Si Qualcomm concrétisait une telle ambition, cela pourrait modifier significativement l’équilibre sur le marché des puces pour PC. Le secteur pourrait devenir plus compétitif et être marqué par une course à l’innovation axée sur l’IA », a estimé Scott Dylan, fondateur de NexaTech Ventures. « Ce serait aussi un aboutissement pour la stratégie de Qualcomm qui cherche à se diversifier au-delà des puces pour mobiles. Cela constituerait aussi un recul d’Intel par rapport à sa position autrefois dominante sur le marché des semi-conducteurs », a-t-il ajouté.
Échapper au marché « saturé » des smartphones
Qualcomm est surtout connu pour ses puces et modems pour smartphones, que l’on retrouve dans les terminaux de certains des plus grands noms du marché, comme Samsung. Mais l’entreprise est aussi parvenue à s’imposer sur le marché des puces pour PC AI, prenant directement des parts de marché à un Intel qui continue à éprouver des difficultés. Contrairement à Intel et AMD, dont les architectures sont basées sur l’architecture x86, Qualcomm propose des puces basées sur la plateforme Arm. Cette dernière offre une meilleure efficacité énergétique, permettant ainsi de prolonger l’autonomie des batteries d’un laptop entre 18 heures et 20 heures.
Qualcomm a récemment annoncé son processeur Snapdragon X Plus 8-core, destiné à des PC dont les prix sont inférieurs à 700 $. Il a également conclu un partenariat exclusif avec Microsoft, dont la gamme de PC Copilot+ est équipée de ses puces de la série X. Un domaine que n’ont encore pas encore investi Intel et AMD, mais leurs produits arrivent. « Tout cela fait que Qualcomm à une longueur d’avance », explique Mario Morales, analyste chez IDC, tout en soulignant que « la course n’est pas finie et qu’elle durera longtemps ».
Dans une interview accordée à CNBC, Cristiano Amon, CEO de Qualcomm, a déclaré que, en raison de la convergence de l’IA et des desktops, mais aussi parce que les utilisateurs attendent de leurs ordinateurs les mêmes performances que celles de leurs téléphones mobiles, le marché des PC est en train de changer « fondamentalement ». « Qualcomm explore cet espace pour échapper à un marché des smartphones désormais très saturé », commente M. Morales. Qualcomm domine ce marché et cherche des domaines de croissance et de diversification. Le secteur des PC IA prend de plus en plus d’importance et « il n’est pas possible pour un acteur clé de l’industrie des semi-conducteurs de ne pas pénétrer cet espace », a ajouté M. Morales.
Intel toujours en difficulté
La semaine dernière, Intel a annoncé sa gamme de processeurs Core Ultra 200V, anciennement Lunar Lake, afin de maintenir Qualcomm et AMD à distance et conserver sa part de marché dans le domaine des puces pour PC portables. Cette gamme de processeurs est destinée à répondre aux exigences des PC Copilot+ de Microsoft, qui a déclaré que le Core Ultra 200V d’Intel, de même que le Ryzen AI 300 d’AMD, pourraient animer ces PC AI dès le mois de novembre. « De cette manière, ces PC pourront être de vrais PC AI, et pas seulement des PC compatibles avec l’IA », a relevé M. Morales.
Cependant, les actions d’Intel approchent leur niveau le plus bas. L’entreprise a réduit ses effectifs de 15 % et a suspendu le versement de dividendes. Son CEO, Pat Gelsinger, et d’autres cadres supérieurs cherchent à réduire la surface des opérations de l’entreprise, ce qui pourrait inclure la vente de son unité de puces programmables Altera (FPGA). M. Morales a expliqué qu’Intel a aussi récemment procédé à une restructuration, en séparant ses activités de conception et de production de ses activités de fabrication. « C’est la raison pour laquelle les rumeurs vont bon train, en raison de cette scission », a déclaré M. Morales.
L’autonomie des batteries a été un obstacle important pour les puces pour ordinateurs portables d’Intel. Mais lors des tests, la société a déclaré que le Core Ultra 200V était plus performant que les puces de Qualcomm et d’AMD. Intel qualifie cette série de « dernière évolution des PC à intelligence artificielle ».
ARM s’attaque à l’architecture x86
L’architecture x86 (utilisée par les puces Intel et d’AMD), qui capte environ 90 % du marché des PC (les 10 % restants sont basés sur ARM), est aujourd’hui la norme dans ce secteur, a expliqué M. Morales. Avec elle, la plupart des composants ont des puces séparées (contrôleurs), ce qui permet de les modifier sans affecter la connectivité ou la plate-forme dans son ensemble. A l’inverse, l’architecture Arm (exploitée par Qualcomm) bénéficie d’une architecture plus intégré. Elle apporte ainsi une plus faible consommation d’énergie et une autonomie plus importante. C’est « assez convaincant », déclare M. Morales. Toutefois, l’architecture x86 a soutenu le marché des PC pendant des décennies. « L’architecture Arm est encore relativement nouvelle », explique l’analyste d’IDC, pour qui « l’architecture x86 continuera à jouer un rôle important dans les centres de données et les PC ». Arm a bien réalisé des gains, note-il, mais ils ont été minimes jusqu’à présent. Cette architecture est « plus omniprésente » sur d’autres marchés, notamment ceux des réseaux, du stockage et des technologies embarquées.
Les intentions de Qualcomm en matière d’architecture ne sont pas claires : devrait-il acquérir une partie des activités de conception d’Intel, chercherait-il à dominer à la fois les mondes Arm et x86, ou tenterait-il d’étouffer cette dernière ? M Morales, pour sa part, estime que « les deux architectures pourraient occuper une place sur le marché. C’est ce qui s’est passé ces dernières années ».
Un mouvements fondamental dans l’univers des semi-conducteurs
M. Morales souligne qu’Intel est « très présent dans les entreprises ». Or, C’est ce qui manque à Qualcomm aujourd’hui. Selon l’analyste, il est très peu probable que les rumeurs de rachat d’actifs d’Intel par Qualcomm se concrétisent. Mais si Qualcomm lorgne réellement sur des activités d’Intel, il est plus probable qu’il s’intéresse à celles que son concurrent mène dans les puces pour les data centers et les réseaux plutôt qu’à ses unités de conception.
Quoi qu’il en soit, cela pourrait être un « mouvement stratégique plus large » dans le domaine des semi-conducteurs, déclare M. Dylan. Selon lui, « il s’agit d’un signe que le marché s’oriente vers une approche plus fragmentée et spécialisée de la conception de puces ». Il indique également que les difficultés d’Intel à générer les liquidités et la baisse de 8 % de son activité clients PC montre que sa division PC n’est plus aussi centrale pour son avenir qu’elle l’était auparavant. « Qualcomm pourrait potentiellement accélérer son entrée dans l’espace PC, en particulier dans l’informatique pilotée par l’IA, que les deux entreprises considèrent comme la prochaine frontière », conclut M. Dylan.