Survivre à l’inflation des coûts de l’outsourcing IT

Les coûts des services IT augmentent, en grande partie à cause de la pénurie mondiale de talents et de l’évolution du contexte économique. Mais, grâce à des partenariats d’externalisation, les DSI peuvent maîtriser les coûts tout en créant de la valeur pour l’entreprise.

Pendant longtemps, la valeur de l’externalisation pour les entreprises a été principalement axée sur l’arbitrage de la main-d’oeuvre. Si les partenariats d’outsourcing sont aujourd’hui plus stratégiques, la réduction des coûts reste un aspect important du modèle. Mais depuis des mois, les coûts d’externalisation ne cessent d’augmenter, majoritairement en raison d’une pénurie sans précédent de talents. « Il est difficile de recruter des personnes et de les retenir », observe Amy Fong, partenaire de la pratique gestion des achats et des fournisseurs d’Everest Group. À bien des égards, les défis actuels de l’externalisation ressemblent aux problèmes de la chaîne d’approvisionnement de matériaux auxquels les entreprises sont confrontées depuis deux ans. Mais avec une particularité : il s’agit cette fois de ressources humaines, lesquelles peuvent être beaucoup plus complexes et nuancées à prévoir et à gérer.

Dans un récent sondage d’Everest Group, 39 % des décideurs interrogés déclarent que les prix de leurs services d’externalisation ont augmenté de plus de 10 % au cours de l’année écoulée ; et près de la moitié (48 %) disent qu’ils ont augmenté de 10 % ou moins. Aucun des répondants n’a dit que les coûts de ses services IT avaient baissé. « Cela fait six mois au moins que nous sommes confrontés à cette situation d’augmentation des coûts et de pénurie de talents », pointe Amy Fong. « Nous sommes toujours dans l’incertitude et de nombreux économistes prévoient une récession », ajoute-t-elle. « Ce contexte oblige potentiellement les DSI à repenser leurs stratégies d’externalisation, à réfléchir à une autre solution pour le long terme et à intégrer une certaine flexibilité à court terme au cas où les choses se stabiliseraient », estime Amy Fong.

Par exemple, les DSI pourraient choisir un nouveau site pour leurs services IT ou faire appel à un autre fournisseur. Ils pourraient aussi tenir compte des prix avant de s’engager dans un contrat de trois à cinq ans. À court terme, il est peu probable que le secteur de l’IT puisse recruter un million de talents. Les compétences très demandées continueront de faire défaut. Il est temps d’établir un plan pour gérer autrement et de manière plus flexible les coûts d’externalisation. Selon Mme Fong, les responsables IT doivent envisager plusieurs scénarios et comprendre comment adapter leurs plans de ressources humaines en fonction des déséquilibres de l’offre et de la demande.

Voici cinq conseils pour gérer les coûts d’externalisation et tirer le meilleur parti des contrats d’outsourcing quand les prix augmentent.

1. Mixer les modèles commerciaux

Aujourd’hui, les options de sous-traitance des services IT sont nombreuses. Cela va du paiement au temps et au matériel, une option qui a fait ses preuves, jusqu’aux contrats basés sur les résultats, dans lesquels l’acheteur ne paie que pour le résultat final, faisant peser davantage de risques et de contraintes de gestion des coûts sur le fournisseur. L’augmentation des coûts des services IT oblige à plus de discernement pour le choix du modèle à appliquer à son portefeuille d’externalisation IT. Selon Amy Fong, « le recours à un modèle de services managés reste toujours pertinent pour les processus et services stables ». En revanche, en ce qui concerne les projets en phase de démarrage ou ceux pour lesquels des compétences de haut niveau sont primordiales, « une réduction des coûts en termes de temps et de matériel peut s’imposer si elle permet de recruter des talents de meilleure qualité », estime-t-elle. C’est pourquoi opter pour un mix de modèles auprès de divers fournisseurs peut s’avérer la meilleure approche pour contrôler les coûts tout en maintenant la qualité.

David Rickard, vice-président des services de processus métiers chez Everest Group, affirme que sur ce sujet, plus on a de fournisseurs, mieux c’est. « Quand nous discutons avec des entreprises qui cherchent à se transformer, elles se demandent d’abord qui sont les spécialistes de la pile technologique, quels sont les sous-fournisseurs opérationnels ou méthodologiques auxquels il faudrait penser, et – si nous sommes dans un secteur ou une fonction spécifique – quels sont les fournisseurs spécifiques avec lesquels elles devraient travailler », relate-t-il. Pour un travail plus générique, le choix peut être différent. « Une relation déjà bien établie avec des fournisseurs peut permettre d’obtenir des prix compétitifs ou de changer de modèle commercial », note David Rickard. « Tout est une question de contexte ».

2. La localisation compte

La pénurie de talents informatiques touche le monde entier. Pire encore, dans le secteur des services IT, certains grands prestataires voient leur taux de départs doubler pour atteindre 30 %. « Les fournisseurs peuvent facilement perdre un tiers de leur personnel », explique Amy Fong. « Le cycle de renouvellement des effectifs est très important », poursuit-elle. De plus, les localisations de proximité se sont avérées particulièrement fragiles en raison de tendances démographiques plus larges, notamment le vieillissement de la population active et l’immigration. Selon l’Everest Group, en 2022, les États-Unis et l’Europe de l’Ouest ont été confrontés aux plus grands défis en matière de recrutement et de fidélisation dans le domaine de l’IT, mais l’Inde et l’Europe centrale et orientale ne sont pas loin derrière.

La demande de transformation numérique, qui s’est fortement accélérée avec la Covid-19, a également mis l’offre de talents à rude épreuve. Les délais de recrutement et d’acquisition de diverses compétences numériques, notamment dans le domaine du cloud, des services de données et de la cybersécurité, sont passés de quatre à six mois. « Mais si les départs et les délais de recrutement parviennent à se stabiliser, les responsables IT qui veulent être compétitifs en termes de coûts devraient reconsidérer la localisation de leurs services IT », explique Amy Fong. « Les emplacements sur lesquels nous avons toujours compté ne seront pas nécessairement ceux sur lesquels nous pourrons compter à l’avenir », reconnaît David Rickard, ajoutant que l’évolution de la démographie de la main-d’oeuvre va avoir un impact sur les régions d’externalisation les plus demandées. En effet, au cours des prochaines décennies, dans des pays comme le Brésil, la Colombie et le Costa Rica, toute une population atteindra l’âge de la retraite, et la population d’actifs est appelée à décliner dans des pays comme la République tchèque, la Pologne et la Lituanie, qui sont aujourd’hui d’excellentes sources de talents technologiques. Selon David Rickard, c’est peut-être le moment de miser davantage sur l’Inde, car c’est là que se trouvent les talents. « Il s’agit de gérer l’impact immédiat, mais aussi de réfléchir à la stratégie à long terme qu’il convient de déployer », ajoute-t-il. « En ce moment, nous recevons aussi des demandes de renseignements sur l’Afrique, qui est une source énorme de talents potentiels pour l’avenir ».

3. Suivre les coûts en permanence

Selon l’Everest Group, depuis le premier semestre 2021, l’augmentation des prix des équivalents temps plein est significative à l’étranger, surtout en ce qui concerne les compétences de nouvelle génération dans les infrastructures et les applications informatiques. « La courbe a été encore plus raide au niveau national », pointe Amy Fong. D’où l’importance de comparer les coûts avec ceux du marché. « D’après ce que l’on a pu constater, les gens pensent parfois qu’ils paient un bon tarif, ils négocient et ils sont vraiment fiers d’avoir obtenu une réduction de 10 % ou d’avoir maintenu leur contrat en l’état », explique David Rickard. « En fait, ils paient beaucoup plus que le marché et c’est pourquoi un fournisseur peut leur offrir un tarif intéressant », pointe-t-il.

Les DSI doivent également évaluer le coût total de possession par rapport aux tarifs affichés. « Souvent, l’offre tarifaire sur papier semble attrayante, mais il faut y ajouter de nombreux services complémentaires, des coûts opérationnels ou des coûts de gestion des relations et des comptes », met en garde David Rickard. « Il faut vraiment comprendre quel sera le coût total de l’opération ». La plupart des contrats d’externalisation comprennent une clause d’ajustement du coût de la vie (Cost of Living Adjustement, COLA), largement ignorée pendant le COVID. Les responsables informatiques doivent garder à l’esprit la valeur de toute clause COLA, avec un incrément fixe lié à l’indice des prix à la consommation ou un partage des risques avec une fourchette d’augmentations minimales ou maximales. « Les entreprises réalisent que ces clauses sont là pour protéger les deux parties, de sorte que les gens peuvent planifier et prévoir en fonction », précise David Rickard. « Les dirigeants IT doivent également comprendre que les augmentations de salaire ne doivent pas entraîner des augmentations de prix équivalentes. Une augmentation de 15 % des salaires devrait avoir, au maximum, un impact de 7 à 9 % sur les prix », estime David Rickard.

Autre facteur pernicieux pouvant entraîner une augmentation des coûts : l’inflation des salaires. Pour retenir les employés, de nombreux prestataires de services offrent des promotions anticipées aux ressources juniors, ce qui entraîne une hausse des coûts pour les clients. En général, les contrats d’externalisation sont constitués d’environ 80 % de professionnels de l’IT de niveau inférieur et de 20 % de cadres supérieurs. Selon l’analyse d’Everest Group, même un léger changement dans ces ratios peut entraîner une augmentation de 6 % des coûts globaux pour un client. Les décideurs IT devraient examiner les ratios de dotation en personnel de leurs fournisseurs afin de repérer toute augmentation des rôles de niveau supérieur. « Le recrutement de ressources plus expérimentées peut se justifier pour résoudre, par exemple, des problèmes de prestation de services ou en raison de la complexité d’un projet », explique Bhanushee Malhotra, directeur de la pratique d’approvisionnement et de gestion des fournisseurs d’Everest Group. « Mais placer des ressources juniors dans la tranche senior est devenu la norme, ce qui ne devrait pas être le cas », estime-t-il.

4. Comprendre sa stratégie de main-d’oeuvre de bout en bout

Autrefois, on ne voyait pas très bien comment l’approvisionnement IT et la dotation en personnel d’appoint s’inscrivaient dans la stratégie de main-d’oeuvre globale, en particulier dans les services d’approvisionnement. Aujourd’hui, pour gérer les coûts, tout le monde doit comprendre les besoins en personnel informatique, aujourd’hui et à l’avenir. « Il ne s’agit pas d’achats gadgets. Dans le monde des services, cela s’appelle du capital humain », rappelle Amy Fong. « Il est essentiel de réfléchir à la façon dont ces composantes de la main-d’oeuvre s’intègrent les unes aux autres », ajoute-t-elle. Quand le service IT est confronté à des problèmes de recrutement ou de rétention, ou qu’il décide un gel des embauches, il est probable que l’externalisation et la dotation en personnel d’appoint augmentent pour répondre aux besoins à court terme. « S’ils ont de gros projets pour lesquels ils ne peuvent pas recruter de personnel, les responsables informatiques auront peut-être besoin de faire appel à un autre fournisseur » ou à des travailleurs occasionnels, explique Amy Fong. « Toutes ces sources de talents sont très interconnectées, et tout le monde devrait y penser ».

Les responsables IT doivent collaborer avec les RH et d’autres acteurs du sourcing pour élaborer une stratégie de main-d’oeuvre de bout en bout. Pour cela ils devront évaluer la demande future en fonction des besoins de l’entreprise et des scénarios externes, comprendre la nature de l’offre existante et les principales lacunes, évaluer les options de sourcing de talents, faire correspondre l’offre et la demande sur une base itérative et surveiller la situation en permanence. « Tout cela ressemble beaucoup au processus de planification de la demande pour la fabrication ; hormis que dans ce cas, c’est de personnes que l’on parle », souligne Amy Fong. « Et c’est beaucoup plus difficile et délicat à gérer ».

5. Ne pas se bloquer sur les économies de coûts

Quoi qu’il en soit, la probabilité pour des dirigeants informatiques d’être confrontés à une augmentation des coûts des services IT est assez élevée, du moins dans certains domaines. C’est pourquoi il est important de déplacer la question de l’externalisation vers la valeur métier, car, au-delà des économies de coûts, l’externalisation peut apporter des avantages à l’entreprise. « Il y a la gestion des risques. Il faut s’assurer que l’approvisionnement répond à tout moment aux besoins. Il faut entretenir les relations avec les fournisseurs, favoriser en permanence l’échange d’idées et être ouvert à l’innovation », explique Bhanushee Malhotra. Les responsables de l’informatique et des achats devraient intégrer des avantages plus qualitatifs dans leurs tableaux de bord d’externalisation. Il est important « de s’attribuer le mérite de tout ce qui a été accompli au cours de ces deux dernières années, particulièrement difficiles, autant pour veiller à ce que l’approvisionnement soit disponible à tout moment, que pour créer le bon type d’impact dans l’entreprise », conseille Bhanushee Malhotra. À l’heure où l’informatique peine à atteindre ses objectifs de réduction des coûts, il est encore plus important que les accords d’externalisation continuent de porter leurs fruits dans d’autres domaines. Il est primordial de faire preuve de transparence quant à l’augmentation des coûts et aux avantages que les fournisseurs de services IT continuent d’offrir. « Nous savons tous que nous sommes entrés dans une période d’inflation, c’est pourquoi il est très important d’avoir ces discussions difficiles dès le départ », recommande Amy Fong.

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